Programme :
Résumés :

La motivation principale de la confĂ©rence « Entre fĂ©minin et masculin – langue(s) et sociĂ©té », qui se tiendra les 9 et 10 dĂ©cembre 2021 en mode hybride, en ligne et (si possible, au vu de la pandĂ©mie) Ă  Lisbonne, Portugal, est d’apporter des donnĂ©es scientifiques pour avancer dans la rĂ©flexion sur la mise en place complexe d’un langage inclusif, un processus largement entamĂ© dans tout l’occident, mais qui reste polĂ©mique.

Nous poursuivons ainsi le panorama linguistique entamĂ© lors de la premiĂšre confĂ©rence sur ce thĂšme (« Entre masculin et fĂ©minin
 Approche contrastive dans les langues romanes », ENS, Paris, 28-29 novembre 2019), dont les Actes paraĂźtront aux PSN dĂ©but 2022[1]. Lors de la premiĂšre confĂ©rence, une des particularitĂ©s du colloque Ă©tait de faire le point sur les actions menĂ©es dans les communautĂ©s de langue romane, c’est-Ă -dire, au-delĂ  du français, dans des langues historiquement et typologiquement proches du français, afin de voir dans quelle mesure il Ă©tait possible de s’inspirer de ces expĂ©riences. Pour cette seconde confĂ©rence, nous proposons d’élargir cette perspective contrastive aux langues germaniques, elles aussi proches historiquement du français, mais plus Ă©loignĂ©es typologiquement. La question principale du colloque reste de savoir ce que l’on peut faire pour accompagner au mieux le processus d’évolution vers une langue non sexiste, Ă  partir d’un ensemble d’observations : (a) qu’est-ce qui a Ă©tĂ© fait, en français et dans les autres langues ? (b) qu’est-ce qui a le mieux marché ? quels sont les avantages et les dĂ©savantages des diffĂ©rentes mĂ©thodes ?

Depuis la fin des annĂ©es 1970, la question du genre dans la langue a suscitĂ© une sĂ©rie de travaux, dans divers domaines, psychologie et psycholinguistique, sociologie, littĂ©rature
 (Boel 1976, Moulton et al. 1978, MacKay & Fulkerson 1979, entre autres). En France, aprĂšs avoir ressurgi avec force en 2017, ce dĂ©bat a Ă©tĂ© ranimĂ© plus rĂ©cemment par le mouvement #metoo, nĂ© aux États-Unis, et qui s’est propagĂ© assez vite dans l’ensemble du monde occidental. Ce dĂ©bat sur l’importance de la fĂ©minisation linguistique – puis plus largement du langage non discriminant – Ă©tant enfin largement ouvert en France, les Ă©tudes se multiplient (voir Le Ru et al. 2019), non sans polĂ©mique – voir par exemple les tribunes contradictoires dans Marianne et Mediapart, courant 2020.

 

Il est Ă©vident qu’il y a un dĂ©sĂ©quilibre entre les genres en français, comme dans de nombreuses autres langues, mais peut-ĂȘtre est-il plus sensible en français qu’ailleurs, en raison du marquage nominal du genre. L’opposition de genre soulĂšve trois questions d’ordre linguistique. La premiĂšre est de savoir si l’asymĂ©trie linguistique entre les genres est naturelle. On sait bien que les langages « naturels », Ă  la diffĂ©rence des langages crĂ©Ă©s, ne sont pas des systĂšmes ‘parfaits’, symĂ©triques, loin s’en faut. Les langues naturelles sont ‘bancales’, pleines d’exceptions, qu’il s’agisse de la morphologie verbale, ou nominale, de la syntaxe. L’asymĂ©trie entre les genres est-elle simplement un symptĂŽme de ces ‘imperfections’, ou bien cache-t-elle autre chose ? Est-elle voulue, a-t-elle Ă©tĂ© renforcĂ©e par l’action humaine ? Sur ce point, il a Ă©tĂ© largement dĂ©montrĂ© qu’il n’y a rien de naturel dans l’asymĂ©trie linguistique entre les genres, et qu’elle est au contraire renforcĂ©e par des logiques de domination sociale – servant mĂȘme, en retour, Ă  renforcer ces derniĂšres (Scutt 1985).

La seconde question est de savoir si l’asymĂ©trie linguistique entre les genres constitue une discrimination. On peut penser – et on a certainement pu dire – que le dĂ©sĂ©quilibre entre les genres, mĂȘme s’il est vrai qu’il a Ă©tĂ© renforcĂ© volontairement pour asseoir l’autoritĂ© masculine, est toujours anecdotique, et qu’il s’agit d’une rĂ©alitĂ© culturelle sans impact social rĂ©el. Que peut-on conclure Ă  ce sujet Ă  la lumiĂšre des Ă©tudes scientifiques de ces cinquante derniĂšres annĂ©es ? Cette question a Ă©tĂ© largement au cƓur des travaux sur le genre, notamment en psycho-linguistique. Des expĂ©riences ont ainsi pu montrer, dĂšs les annĂ©es 70, que le « masculin gĂ©nĂ©rique » a effectivement un impact sur nos reprĂ©sentations cognitives : en anglais, mais aussi en allemand (Batliner 1984, Braun et al. 1998), en français (Gygax et al. 2019), et, en fait, probablement, quelle que soit la langue (voir Stahlberg et al. 2007, Gabriel & Gygax 2016). Il semble bien que les ĂȘtres humains – comme les algorithmes (Bolukbasi et al., 2016) – sont sensibles Ă  la discrimination induite par l’asymĂ©trie entre les genres.

La troisiĂšme question de savoir si cette asymĂ©trie linguistique entre les genres est inĂ©luctable, ou si au contraire on peut y apporter des solutions. Ainsi, on a beaucoup parlĂ© du troisiĂšme pronom inventĂ© en suĂ©dois, hen (renvoyant Ă  un ĂȘtre humain Ă  la 3e personne du singulier, sans spĂ©cification de genre), et du pronom anglais they, pour permettre une expression neutre. En français, pour l’instant, plusieurs pistes existent, mais aucune solution ne fait consensus. Cette derniĂšre question a elle aussi suscitĂ© de nombreux travaux, avec des propositions multiples pour adopter un langage non discriminant, dans diverses langues (voir pour l’allemand Steinhauer & Diewald 2017, pour le français Dister & Moreau 2020 ; et, pour une perspective comparĂ©e, les travaux d’Elmiger). Elle a menĂ© quelques collĂšgues Ă  proposer des solutions tout Ă  fait originales pour remĂ©dier au problĂšme de la visibilitĂ© de toute la communauté ; ainsi que la crĂ©ation d’un nouveau genre neutre en suĂ©dois qui, aprĂšs une pĂ©riode de rĂ©ticence, a commencĂ© Ă  ĂȘtre plutĂŽt bien acceptĂ© en SuĂšde (SendĂ©n et al. 2015).

 

Conférences invitées

Gabriele Diewald, Université de Hannovre

Daniel Elmiger, Université de GenÚve

Bernard Cerquiglini, Université Paris 7

[1] Fagard, Benjamin & Gabrielle Le Tallec, sous presse (accepté pour publication). Entre masculin et féminin. Français et langues romanes. Paris : PSN.