Marqueurs de la structuration du discours

L’enjeu de cette opération est de cerner les rôles des différentes configurations lexicales et syntaxiques susceptibles d’assurer la structuration du discours au fur et à mesure de son déroulement.

Le choix de ces configurations est lié au genre et à la dimension pragmatique du texte, dans la mesure où différents genres de texte donnent lieu à des types de structuration particulière. Dans un texte d’opinion, par exemple l’éditorial d’une revue ou d’un journal, l’emploi des questions (directes et indirectes) peut souvent jouer un rôle structurant très important (cf. Hyland 2002 ; Carter-Thomas et Rowley-Jolivet  2017). Ainsi une question placée au début du paragraphe permet d’agencer un paragraphe, ou, a fortiori, une question placée au tout début de l’éditorial permet de structurer l’ensemble du texte : « What future for the NHS ? ».  De façon similaire, le recours fréquent aux phrases pseudo-clivées dans une présentation scientifique peut jouer également un rôle de structuration importante, permettant, par exemple,  au locuteur de signaler d’une façon explicite les informations qu’il juge les plus essentielles et pertinentes pour les auditeurs : ce qu’il y a de remarquable[… ], ce qui est important[… ].

L’hypothèse est que le genre discursif peut potentiellement influencer tous les niveaux de la mise en texte, du niveau « macrostructurel » – le format IMRD (Introduction, Méthodes, Résultats, Discussion) dans les articles de recherche, par exemple – au niveau lexical et passant par la syntaxe. Un marqueur discursif qui est très productif dans une position textuelle donnée au sein d’un genre spécifique ne le sera pas forcément dans un autre genre. Par exemple, dans un résumé de thèse, l’emploi de par ailleurs est réservé majoritairement à des fins continuatives (Bouveret & Carter-Thomas sous presse). Or dans un texte d’opinion, les fonctions argumentatives et digressives de ce marqueur risquent d’être plus exploitées.  L’étude de cette question combine ainsi syntaxe, lexique et pragmatique et suppose l’utilisation de divers corpus écrits ou oraux (articles scientifiques, articles de presse, éditoriaux, résumés de thèses, présentations etc.).

Une attention particulière sera accordée aux marqueurs de thèmes/topiques de discours comme d’ailleurs/par ailleurs/à propos/au fait… qui signalent des passages plus ou moins digressifs et ont pour fonction de maintenir, malgré la présence de ceux-ci, la continuité du propos (Charolles & Lamiroy 2002). Ce sont notamment les marqueurs de début ou de fin de digression qui seront examinés et leurs analyses seront replacées dans le cadre général des marqueurs de structuration (qui incluent les connecteurs, les anaphores et les cadratifs), en relation avec la question de la récursivité dans la construction du discours. Seront également abordés les marqueurs de thèmes / topiques de discours, et ce dans la perspective de la grammaticalisation, champ d’étude dans lequel beaucoup de phénomènes restent encore à mettre au jour ou à préciser (Prévost 2011, Charolles et al 2017, Fagard & Charolles  2018). L’origine adverbiale de ces marqueurs conduit en effet à s’interroger sur les causes de leur évolution vers des fonctions de marqueurs de thèmes/topiques de discours. Il conviendra aussi d’analyser et comprendre comment les marqueurs émergeants peuvent s’insérer dans le microsystème des marqueurs proches déjà existants, et plus généralement d’identifier les besoins communicationnels auxquels ils répondent.

La méthodologie s’appuiera non seulement sur les comparaisons inter-genres mais aussi sur les comparaisons inter-langues. Au sein d’une situation de communication précise, est-ce que l’anglais et le français, par exemple, font appel aux mêmes types de stratégies informationnelles et aux mêmes marqueurs ? Est-ce que les mêmes structures syntaxiques sont privilégiées et est-ce que les types de configurations informationnelles qui en résultent (organisation thèmes-rhèmes / progression thématique / intégration d’information) sont similaires ?

A travers les analyses des différentes configurations et constructions proposées, de leurs positions textuelles, de leurs rôles fonctionnels (connecteur, cadratif, anaphorique, digressif) et/ou pragmatiques, et de leur participation à la cohérence textuelle, notre objectif est de mieux comprendre comment le discours se structure dans son déroulement même.

 

Bouveret, M., Carter-Thomas, S. (sous presse) More of the same or something different? An analysis of the French discourse marker par ailleurs in academic writing. Journal of Pragmatics.

Carter-Thomas S., Rowley-Jolivet E. (2017) “Maintaining a Dominant Voice: A Syntactic Analysis of the Way Power is Wielded in Medical Editorials”, in Orts, M. Breeze, R., M. Gotti (eds), Power, persuasion and manipulation in specialised genres. Peter Lang.

Charolles, M., Lamiroy B. (2002) Les adverbiaux de la phrase au discours. In J.Radimsky (ed.) Actes du 31ème Colloque sur le Lexique et la Grammaire, Université de Bohème du Sud, Ceske Budejovice, 93-100.

Charolles, M.,  Diwersy, S., Vigier, D. (2017) Évolution des emplois des marqueurs de topiques de discours dans Le Figaro de la fin du XIXe et du début du XXIe siècles. Langages, 206, 85-104.

Fagard B., Charolles M. (2018)  Ailleurs, d’ailleurs, par ailleurs : De l’espace à l’humain, de l’humain au discours. Journal of French Language  Studies, 351-375

Hyland K. (2002) “What do they Mean? Questions in Academic Writing”. Text 22/4, 529-557.

Prévost S. (2011) À propos: from verbal complement to ‘utterance marker’ of discourse shift, Linguistics, 49 : 2, 391-413.